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Devenir humain
17 janvier 2015

(Re)construire notre vivre ensemble…

LangevinDes musulmans manifestent partout dans le monde, choqués par la Une du dernier Charlie Hebdo. Je respecte profondément ce qu’ils ressentent, même si je suis surpris.

J’ai donc envie de m’interroger devant vous… Je n’ai pas envie de théoriser sur ces questions, mais simplement d’évoquer divers positionnements  possibles face à des débats récents.

J’ai le sentiment qu’il s’agit plus de différences culturelles qui s’affrontent que de discrimination religieuse. Nos différences culturelles très fortes nous empêchent parfois de nous comprendre et nous laissent choqués de la réaction différente de l’autre.

Loin d’opposer les pays européens aux pays arabes, les chrétiens aux musulmans ou aux athées, les français aux immigrés, etc., ces oppositions traversent toutes les couches de notre société et chacune de nos religions… Elles opposent les français à d’autre français... les catholiques « progressistes » aux catholiques « intégristes »... les musulmans et les islamistes... les partis politiques « dits » républicains et le Front national et des partis des extrêmes... les personnes qui ont besoin de se recrocqueviller sur leur vérité par peur d'être balayés, et les persones qui ont trouvé une stabilité suffisante pour s'ouvrir aux quatre vents de la diversité sans perdre leur identité... etc.

Par exemple :


CARICATURE DU PAPE SUR CHARLIE HEBDO
Lorsque Charlie Hebdo a suggéré dans une caricature le pape faisant une sodomie à un petit garçon, des catholiques (et d’autres probablement) ont été choqués et ne se sont pas privés de le dire. Ils ont aussi interrogé les limites de la dérision et de la liberté d’expression. Et certains ont tenté de faire entendre d’autres points de vue. Mais beaucoup ont préféré débattre que combattre, et le choix républicain a été de ne pas faire taire, chacun restant libre de ne plus acheter le journal et de le mettre en difficulté financière…

Il y aura toujours des personnes tellement touchées dans leur chair ou dans leurs convictions qui réclameront la mort pour les pédophiles, et d’autres qui chercheront à accompagner ces mêmes pédophiles, sans les excuser, en cherchant à comprendre pourquoi ils en sont arrivés là et en croyant qu’ils peuvent réparer, se réparer et changer. J'ai été choqué par cette caricature, je l'ai dit. Si j'avais été abonné à Charlie Hebdo je me serais désabonné. J'ai jugé la caricature, pas les dessinateurs.

Pour ma part, je tiens beaucoup à ce que chacun puisse dire ce qui le choque et ce qu’il pense, mais je ne comprends pas que l’un veuille imposer son point de vue ou son émotion comme unique vérité qui s’imposerait à tous. Et j’arrive parfois à me canaliser quand je suis moi-même si choqué que j’ai envie de juger l’autre ou de lui imposer mon point de vue !


LE MARIAGE POUR TOUS
Lorsque la France a proposé et voté le mariage pour tous, des catholiques (et probablement d’autres) ont été choqués de ce changement qui remettait en cause non seulement leurs convictions et leur foi, mais aussi ce qui leur apparaissait comme l’un des fondements majeurs de notre société. Les institutions religieuses ont fait entendre leurs voix et souvent leur désaccords. Des milliers de personnes et souvent des familles ont défilé dans les rues. Des débats tendus ont eu lieu au Parlement. Quelques intégristes ont eu des réactions violentes. D’autres ont manifesté leurs mépris pour ce qu’ils percevaient comme les étroitesses d’une religion ringarde. Le débat démocratique a donc eu lieu. Mais puisque la Loi est votée, elle s’impose à tous, tout en laissant la liberté à chacun de se marier ou non, comme il l’entend.

Il y aura toujours des personnes tellement choquées que leur émotion débordera  dans des réactions agressives voire violentes, et d’autres qui voudront défendre à tout prix la liberté de pensée, ou la liberté des mœurs… D’autres encore qui revendiqueront le droit de vivre, d’aimer et de vivre leur sexualité comme ils l’entendent…

Pour ma part, je tiens beaucoup à ce que chacun puisse prendre la parole et être entendu… Mais pour être entendu, il ne faut pas seulement avoir la possibilité de parler ; il faut aussi se demander comment ce que je dis peut être entendu par celui qui ne pense pas comme moi. C’est la tâche de nos institutions républicaines ou religieuses de favoriser la libre expression, sans imposer d’avance une vérité unique trop souvent défendue par ceux qui ont ou ont pris le pouvoir. D’ailleurs, y compris parmi les catholiques, il y a place maintenant pour le débat, en particulier sur toutes ces questions liées à la sexualité…


UN AMI M'ECRIT
« Le caractère sacré d'une religion concerne  le pratiquant de cette religion. On ne peut pas imposer ce "sacré" aux autres,  encore moins par la force. Après, on peut considérer que c'est irrespectueux de se moquer. C'est peut être bête, parfois méchant, mais ces dessins humoristiques, caustiques, voire iconoclastes n'attentent pas à la vie des gens. La réponse en retour est terrifiante. »

Ces dessins n’attentent pas à la vie des gens, mais au sens que les gens donnent à la vie, et à leurs valeurs fondamentales. Le « sacré » a toujours quelque chose à voir avec « l’intouchable ». On ne touche pas au sacré. On ne touche pas à ce qui attenterait au sens que je donne à la vie… « Touche pas mon pote ! » Jadis les catholiques ne touchaient pas l’hostie… Jadis les catholiques ont brûlé les protestants et porté des anathèmes sur beaucoup d’incroyants… et je n’en suis pas fier…

 Mais je suis bien obligé de constater que ce qui est « sacré » pour moi ne l’est pas pour l’autre. Toute la question est de savoir comment défendre mes valeurs sans les imposer à tous. Je peux demander à l'autre le respect (et c’est là qu’on interroge les limites de la dérision et de la liberté d’expression). Mais je ne peux pas exiger que mon « sacré » devienne le sien. Je ne peux pas exiger qu’il se taise, ni refuser qu’il m’interroge, ni trouver inacceptable qu'il manifeste son désaccord… Sinon mon « sacré » le réduit au silence, mon « sacré » porte atteinte à sa liberté. En refusant la possibilité de la différence, mon « sacré » finit par le terroriser…


LA UNE DE CHARLIE HEBDO
Je constate qu’elle a fait peine aux amis musulmans que je connais, et nous allons prendre des initiatives concrètes pour que tous ceux qui le souhaitent puissent exprimer ce qu’ils ont ressentis dans tous ces évènements. Il ne s’agira pas de faire un débat d’idées où chacun chercherait à argumenter pour prouver qu’il a raison. Il s’agira simplement d’un partage respectueux de nos ressentis différents, pour les transformer en ressources partagées.

C’est dans ce contexte de partage où mon ressenti n’est qu’un ressenti parmi d’autres que j’ai envie de donner ma réaction à la Une de Charlie Hebdo.

 J’y ai d’abord vu le Prophète qui pleure, et je me rends compte que je l’ai vu à travers le filtre de ma culture chrétienne. La larme du Prophète m’a rappelé (sans faire l’amalgame) Jésus qui pleure dans l’Evangile devant la mort de son ami. Il m’a rappelé le livre de François Varillon intitulé « la souffrance de Dieu », un Dieu qui souffre de toutes les misères de l’homme.

Et je me suis dit : sommes-nous en train, musulmans, juifs et chrétiens, de reconnaître le même Dieu, ce Dieu qui n’est pas celui qui punit et qui condamne, mais le Dieu d’amour qui pleure de la souffrance de l’homme, de tout homme… Ce Dieu commun aux Juifs, aux Musulmans et aux Chrétiens « qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il vive ».

J’y ai ensuite vu le prophète tenant la pancarte : « Je suis Charlie » que beaucoup d’entre nous ont brandi.

J’y ai d’abord vu quelque chose de positif, reliant cela à toutes les paroles des représentants de l’Islam de France et d’ailleurs, condamnant sans réserve le terrorisme et les attentats à Charlie Hebdo, sans bien sûr adhérer à tout ce que Charlie Hebdo a écrit ou dessiné.

Ensuite, j’ai regretté que le prophète ne tienne pas les autres pancartes que nous avons vu fleurir : « je suis juif », « je suis musulman », « Je suis policier »…

Enfin j’ai beaucoup réfléchi, suite aux réactions de mes amis musulmans, légitimement choqués par ce « Je suis Charlie » : ils ont l’impression que cette phrase ne respecte le choc qu’ils ont eu devant les caricatures, et qu’elle contribue à les discriminer ou à entretenir les amalgames. Ce n’est pas mon avis, mais c’est le leur et il m’a fait progresser… J’ai donc supprimé de mes communications sur Internet mon « je suis Charlie/Juif/Musulman/Policier… » ou mon « Restons Charlie… ». Et je l’ai remplacé par « Restons ENSEMBLE ».

Enfin j’ai vu sur cette Une de Charlie Hebdo la phrase : « Tout est pardonné ».

Dans ma culture chrétienne, elle m’a rappelé le « Tout est accompli » du Crist sur la Croix : selon la théologie chrétienne, il meurt tué par les religieux de son époque, pour pardonner et pour sauver tous les hommes…

Mais j’ai aussi perçu tout de suite la multiplicité possible d’interprétations de cette phrase. Et j’aimerais entendre les interprétations différentes de mes amis de tous bords politiques, religieux, sociaux…


LA LAÏCITÉ

Finalement, le vrai débat n’est pas un débat sur les religions, mais sur la place des religions dans la sphère publique.

La laïcité, telle que la République française la définit, permet et organise la liberté de cultes comme la liberté d’expression et instaure donc les règles d’un débat démocratique où toutes les opinions et convictions peuvent s’exprimer sans s’imposer.

Ceci n’empêche pas les perversions d’une liberté qui refuse toute contrainte : les fondamentalistes de tous poils (chrétiens, musulmans, juifs, fascistes, et autres) nourrissent leur intolérance de religions qu’ils pervertissent et qu’ils instrumentalisent pour transformer leur vérité unique en armes qui tuent. Les réactions populaires et souvent populistes nourrissent leur intolérance de stigmatisations et d’amalgames qui refusent par exemple de voir la différence entre un croyant et un terroriste. La République et la laïcité sont censées protéger la société et ses minorités de ces excès.

Cette laïcité républicaine n’est pas un modèle universel. D’autres pays ont mis une religion au centre de leur dispositif « politique ». Ca a d’ailleurs été le cas en France pendant des siècles avec le catholicisme religion d’Etat. Dans ce contexte, la prise de parole des non croyants n’est pas traitée de la même manière. Et pour ma part, j’ai envie d’entendre mes amis musulmans m’expliquer pourquoi tant d’autorités religieuses des pays arabes dénoncent si fort la Une de Charlie Hebdo.

Une seule chose m’importe finalement : au lieu de nous dénoncer parce que nous somme différents, si chacun de nous pouvait annoncer à l’autre ce qui le fait souffrir et ce qui le fait vivre… Cela nous conduirait à renoncer aux jugements sur els personnes, à l'agressivité et à toute violence...

Bien au-delà d’une manifestation du 11 janvier qui a été présentée comme unanimiste sans l’être vraiment, il s'agit maintenant de :

  • oser nous écouter et nous accueillir différents,
  • oser exprimer nos « chocs », les "travailler" pour y découvrir les diversités de « sens » que nous donnons à nos vies,
  • oser formuler et traiter les désaccords et les tensions que ces chocs font émerger,
  • et chercher à devenir ressources les uns pour les autres… 

(Re)construire notre vivre ensemble…

Marc THOMAS – 17 janvier 2015

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Commentaires
E
Je plaisante volontiers sur la religion et la laicite, mais pas avec tout le monde.<br /> <br /> Je n ai aucun humour sur la maladie et le handicap. Cela me blesse. <br /> <br /> Nous avons tous nos propres limites et il me semble "humain"de respecter les siennes et celles des autres.<br /> <br /> Alors pour ma part, je pense que l on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde
A
Allez, Marc ! J’ai envie de commenter tes commentaires tout en me livrant un peu au même exercice : essayer d’identifier mes réactions à ces différents événements. <br /> <br /> <br /> <br /> C’est surprenant, pour moi, que tu sois surpris parce que des musulmans sont choqués au point de manifester. Il me semblait évident qu’on ne pouvait que comprendre leur indignation (leur humiliation ?), et ressentir la même. Je m’aperçois que si nous avons toi et moi la même sensibilité pour des choses importantes, elle diffère aussi pour d’autres tout aussi importantes. Tu parles de différences culturelles… c’est peut-être ça. Moi, Réunionnaise, je n’ai pas tout à fait la même culture que toi, Français de l’Hexagone. Notre vécu n’est pas entièrement le même. Cette part qui m’est propre, elle peut être richesse si je parviens à l’exprimer de façon audible et si le grand « tout » français l’accepte et l’intègre. Ce n’est pas d’abord une question de nationalité ni de religion mais plutôt de rapport à des valeurs essentielles.<br /> <br /> <br /> <br /> La caricature du pape sur Charlie Hebdo. Comme la plupart des caricatures de Charlie Hebdo, que je ne lisais pas mais auxquelles je n’ai pas toujours pu échapper, je l’ai trouvée choquante. Ce n’est pas tant le fait de caricaturer le pape, car cela pourrait être fait avec finesse et malicieusement, mais cette façon de tout voir sous l’angle du cul, comme s’il était le but ultime et la seule jouissance de la vie. Et pape ou Mahomet, ça me choque autant.<br /> <br /> J’ai parfois eu envie de pousser un bon coup de gueule éditorial… Je me suis abstenue avec l’idée que cela ne servirait à rien et aurait pour seul résultat de leur faire de la publicité. Je ne suis pas certaine d’avoir eu raison. D’abord parce que cela veut dire que je les croyais (les = dessinateurs et public) incapables de comprendre, d’évoluer. Ensuite parce que… qui ne dit mot, consent ! Et en ayant contribué, par mon silence, à un certain relativisme… j’estime que j’ai une petite part de responsabilité dans cet attentat.<br /> <br /> <br /> <br /> Le mariage pour tous. Moi, c’est cette mobilisation évêques en tête qui m’a choquée. Je n’avais et n’ai toujours pas d’opinion arrêtée sur le mariage pour tous. Mais je pense que l’immense majorité de ceux qui sont descendus dans la rue ne savaient rien de l’homosexualité, rien que des préjugés… et si j’en juge par diverses paroles entendues encore récemment, ils n’ont même pas profité de l’occasion pour s’informer !<br /> <br /> Comme toujours lorsque quelques-uns transforment l’autre en objet, en parlant de lui, à sa place, j’étais très mal à l’aise. Et j’ai décidé qu’on n’aborderait pas ce sujet dans le mensuel, parce que le seul parti respectueux aurait été de donner la parole aux homosexuels. Difficile à La Réunion de trouver des homos cathos prêts à s’exprimer. Je n’ai certainement pas assez cherché… probablement aussi j’ai manqué de courage : un tel article aurait été très mal reçu des lecteurs, en tout cas des « prescripteurs »...<br /> <br /> <br /> <br /> À propos de ce que ton ami t’écrit et de ce que tu réponds, j’ai juste envie de dire deux choses :<br /> <br /> - Quand arrêtera-t-on de croire que la vie, ce n’est que de la biologie ? Les atteintes à la sensibilité, à l’intégrité de l’être, à l’âme font autant de dégâts que des grenades.<br /> <br /> - Dans ma façon de penser, ce qui est sacré pour l’autre, le devient aussi un peu pour moi. Parce que c’est l’homme, qui est sacré, et qu’en respectant ce qu’il respecte, je le respecte lui aussi. Mais pour que ce respect ne soit pas indifférence, et ne se dissolve pas dans l'ignorance, il est souhaitable que nous soyons capables d’échanger sur nos conceptions du sacré.<br /> <br /> <br /> <br /> La une de Charlie Hebdo. Alors là… Je trouve lamentable d’en avoir « remis une couche ». Cela prétend être le Prophète qui pleure. Mais ma première réaction, c’est : de quel droit ? de quel droit s’approprier un personnage fondamental de la religion des autres et le montrer ainsi, pleurant, comme pour leur faire la leçon ? quand, de surcroît, on se pose en grands pourfendeurs des religions ? Alors, ce « Tout est pardonné », pour moi, est hypocrite et… oui, choquant. Parce que je crois en un Dieu-homme, torturé et tué par des fanatiques pour le pardon de tous… mais qui n’a pas dit « tout est pardonné ». Il a dit : « Père, pardonne-leur ». C’est très différent.<br /> <br /> <br /> <br /> Je crois que je suis d’accord avec tout ce que tu écris sur la laïcité. Pour moi, c’est la possibilité pour tous les croyants de toutes les religions d’exister dans la sphère publique, sans prosélytisme. Le problème, c’est qu’en France, nos contemporains ont de la laïcité une conception qui exclut au lieu d’inclure, d’accueillir.
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