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Devenir humain
15 juin 2016

Lâcher prise

Françoise (prénom d’emprunt) participe à une formation destinée à retrouver du sens et à oser être soi-même. Elle me rappelle qu’elle a déjà participé au début d’une autre formation avec moi, mais qu’elle est partie le midi du premier jour car elle ne supportait pas de voir tous les autres participants « pleurnicher parce qu’ils ne savent pas dire non, car moi, continue-t-elle, j’ai appris à être forte et je sais dire non… »

Pendant la première matinée, Françoise exprime son doute que la formation lui fasse trouver du sens à sa vie et intervient beaucoup, interrompant les autres pour leur donner des conseils pour se défendre contre les agresseurs, disant qu’elle, elle sait être forte en toutes circonstances... Plusieurs fois je tente de cadrer et de canaliser les prises de paroles de Françoise. A la pause elle m’invective : « Dans toutes les formations, je me sens bien, sauf dans les vôtres, car vous m’empêchez de parler et vous me frustrez ». Je lui exprime la nécessité pour moi de garantir la parole de tous dans le groupe, et j’ajoute : « Tant que vous parlerez si souvent pour conseiller les autres, je pense que vous ne réussirez pas à trouver le sens de votre vie » « Et pourquoi ? » me dit-elle vivement. « Car pour trouver le sens de sa vie, il faut d’abord écouter et accueillir ce que votre être intérieur a à vous dire. Plus vous parlez des autres, moins vous pouvez vous entendre ».

Françoise est quand-même revenue l’après midi, sans changer beaucoup de posture, exprimant toujours son doute sur « vos capacités à me faire trouver le sens de ma vie ». Je lui rappelle que c’est à elle d’aller le chercher et que je ne peux que lui proposer des « outils » pour se mettre à l’écoute d’elle-même. Elle répète plusieurs fois que « pour s’en sortir dans notre monde et au travail, il faut être fort,  faire face et ne pas se laisser déstabiliser. » Les autres l’interrogent sur sa méthode et elle répond : « Moi je ne me laisse pas faire et je réponds du tac au tac ». Le ton dur à tonalité agressive ne convainc personne…

Le lendemain matin, Françoise est revenue. Chaque participant est invité à exprimer ce qui lui a tourné dans la tête et le cœur depuis la formation de la veille. Françoise prend la parole pour dire qu’elle n’a toujours pas trouvé le sens de sa vie.

Une de ses collègues, Clotilde (prénom modifié) l’interrompt : « Eh bien moi j’ai trouvé hier le sens de ma vie. Depuis des années je me sentais « à part », parce que je n’avais pas envie ni besoin de faire des projets pour changer ma vie, parce que je n’avais pas envie d’acheter toutes les nouvelles choses qui paraissent… Je me disais que je n’étais pas comme les autres, qui devaient penser que ma vie était bien triste. Hier le formateur m’a accompagné dans la découverte suivante : je n’ai pas besoin de faire toujours plus de choses, ni d’avoir toujours plus, mais je suis heureuse de la vie que j’ai dans la simplicité, sans avoir besoin de courir après des bonheurs artificiels… Alors quand le formateur m’a demandé ce qui me rend heureuse comme ça, et quels sont ces besoins satisfaits qui font mon bonheur, j’ai répondu : j’ai besoin d’être dans la sérénité, de l’ancrer en moi. J’ai découvert hier que mon bonheur n’est pas dans le faire, ni dans l’avoir, mais dans l’être. » Et Clotilde ajoute : « Hier soir, j’en ai parlé à mon mari tellement j’étais contente. Et je lui a dit : ça fait des années que je vais chez le psy pour comprendre pourquoi je ne suis pas comme les autres, et en quelques minutes, grâce à quelques questions, j’ai mis le doigt sur mon bonheur d’être ce que je suis, et j’ai retrouvé le sens de ma vie. » Emotion des participants…

Est-ce ce témoignage qui va ouvrir une première brèche chez Françoise ? Quand je lui redonne la parole là où elle avait été interrompue (elle disait n’avoir toujours pas trouvé le sens de sa vie), avec sa verve habituelle, elle dit pourtant quelque chose de tout neuf : « Vous savez je suis forte au travail, tout le monde me voit forte… mais quand je rentre chez moi, je ne suis plus forte du tout… » Son visage change. Je lui propose de continuer. « Par exemple, j’avais juré à mon chien que je serais auprès de lui jusqu’au bout de sa vie. Quand il s’est retrouvé sur la table du vétérinaire, je ne sais pas ce qui m‘a pris : je suis sortie sans réfléchir. Vous voyez je ne suis pas forte, au contraire j’ai été lâche. » Et le visage de Françoise est crispé.

Nous avions convenu en début de formation qu’il n’y aurait aucun jugement de porté, ni sur les autres, ni sur nous-mêmes, car les jugements ne résolvent jamais rien et ne font qu’aggraver les situations.

Je propose donc à Françoise de retirer ce jugement sur elle-même. Elle résiste, affirmant sa grande lâcheté. Je lui dis : « si vous vous jugez, vous ne saurez jamais pourquoi vous n’avez pas pu rester jusqu’au bout auprès de votre chien. » Regard étonné, puis humide. « Vous êtes-vous déjà demandée, Françoise, ce qui vous a poussé à partir ? » Françoise qui parlait tant et à tout propos n’a plus de mot. Ses larmes coulent : elles semblent vider une souffrance… Enfin Françoise s’interroge elle-même, sans jugement, et j’entends dans s bouche : « Pourquoi ? » Je vois dans son regard vers moi un appel. Me branchant sur la souffrance que je ressens, je lui suggère : « C’était trop dur ? » Ses larmes coulent davantage : « Oui je n’ai pas pu, j’avais trop mal, je n’étais pas assez forte pour supporter cela, j’étais trop faible ». Percevant un nouveau jugement sur elle-même dans ce mot « faible », je lui dis : « Vous n’étiez pas faible, vous vous sentiez peut-être seulement fragile, blessée, touchée au plus profond.. Et rester était au-delà de vos forces. »

Les larmes de Françoise continuent à couler. Elle dit : « Depuis 10 ans, je n’ai jamais pu pleurer. Depuis la mort de mon père, jamais de larmes. J’aurais voulu lâcher, mais je n’y arrivais pas… » Je dis à Françoise : « Peut-être vous êtes-vous réfugiée derrière la force d’une armure, mais aujourd’hui vous venez de découvrir une part de vous que vous ne connaissiez pas : la fragilité de tout être humain, les limites du supportable… Vous êtes en train de devenir vous-mêmes, à la fois forte et fragile et le mélange des deux va vous permettre de tenir debout toute seule : plus besoin d’armure extérieure ! A la place, la force intérieure, la force souple et fragile vous permettra enfin de vivre plus sereine. »

Françoise pleure toujours, sans arrêter. Elle sort de la salle, son amie la rejoint. Le groupe qui a été témoin de tout cela a besoin aussi d’une pause. Quelques minutes après, Françoise vient vers le groupe et dit : « Je pleure mais c’est du bonheur, je pleure parce que ça vient de lâcher… Oh merci ! Vous le formateur qui m’énerviez tant hier, vous m’avez permis ça ! » Je lui réponds : « Je vous ai canalisée hier par respect pour le groupe, mais aussi parce que je pensais que c’était la seule solution pour que vous vous mettiez à l’écoute de vous-même… »

Tout le reste de la journée, Françoise était épuisée, mais son visage rayonnait. L’épuisement de quelqu’un qui vient de vider une tension de plusieurs années. L’épuisement de quelqu’un qui vient de lâcher la tension du bras de fer qu’elle avait engagé avec la vie… Il va lui falloir quelques jours pour découvrir en elle, à travers cette fatigue et cette détente, la souplesse et la sérénité que donne l’alliance réconciliée de la fragilité et de la force intérieure.

Alors Françoise, le sens de ta vie ? !!!

Et vous amis lecteurs, où vous êtes-vous reconnus ?

Dans quelle part de vous êtes-vous touchés par cette histoire ?

 

Marc THOMAS – Consultant formateur en compétences relationnelles
juin 2016

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Ecrire à l'auteur : devenir-humain@orange.fr

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